Les compoix sont les ancêtres directs du cadastre napoléonien et préfigurent la loi de 1807 qui l’institue. L’ancienne province du Languedoc est une des rares régions françaises qui dispose de tels documents avant même la Révolution et selon les communes, depuis le Moyen Âge. Historiens de métier, généalogistes ou amateurs d’histoire locale, tous connaissent bien les compoix, qui sont des mines de renseignements sur les familles, les propriétés, les cultures, les bâtiments et le paysage à des époques lointaines.
Le Gévaudan, à l’image du reste du Languedoc, est touché par deux grandes vagues de réalisation de compoix au XVIIè siècle, de 1590 à 1610 d’abord puis de 1630 à 1670 ensuite. C’est à cette occasion que plusieurs municipalités d’Aubrac et de Margeride firent confectionner leurs compoix, dans un Haut-Gévaudan jusque-là peu équipé en cadastres. Ces documents publics, écrits en français, servent à savoir l’avance qui paiera quel pourcentage précis de la taille royale, l’impôt foncier de l’époque, en fonction de la valeur de ses parcelles bâties, agricoles et incultes. Il existe donc, pour faire réaliser un compoix, la volonté d’une municipalité de faire payer aux contribuables un impôt le plus équitable possible. De plus, nos ancêtres avaient une vision censitaire du quotidien et de ses pratiques. Une fois un compoix mis en service, le montant du revenu cadastral d’un propriétaire peut permettre de limiter le nombre de brebis ou de bovins que l’on a le droit de posséder ou de déterminer combien de nuits le troupeau transhumant du Bas-Languedoc pourra rester dans ses terres, etc.
Chaque commune pouvait faire réaliser un compoix pour répartir la taille royale mais ce n’était pas une obligation. Dans la moitié nord du Gévaudan, on préférait souvent des stratégies d’accommodement, aux règles aujourd’hui opaques et parfois, faire réaliser un compoix fut vécu comme une nouveauté insupportable. Il faudrait soudain que chacun paie sa juste part des impôts : à Nasbinals, à Rimeize et dans bien d’autres lieux, on voit une partie de la population faire capoter les opérations cadastrales pour maintenir l’ancien système de répartition « à l’amiable ».
En revanche, quand des compoix sont fabriqués au XVIIè siècle, ils sont d’une très grande qualité. En l’absence de plans parcellaires, les parcelles sont localisées et décrites avec beaucoup de détails, très vivants et très souvent, en employant des mots d’occitan plus ou moins francisés. Sagnes, travers, alapens et autres rancarèdes ou issartiels parsèment les pages. La forme même des parcelles peut être expliquée, dessinant escayres, capmartels ou caissos. Parallèlement, le préambule placé en introduction montre que la commune commence, ici et là, dès cette époque, à imaginer le territoire décrit dans le compoix comme se trouvant dans un « enclos », c’est-à-dire dans des limites communales. Et que ce territoire a son identité : couvert de neige une partie de l’année et de peu de revenus à Prinsuéjols en 1644, partie dans la vallée du Lot, partie sur le causse et partie de « montainhe », avec une grande variété de terroirs à Badaroux en 1644, etc.
Ces progrès vont dans le sens de communes réalisant que leurs décisions peuvent servir à aménager un territoire, le leur, propre, qui coexiste avec d’autres territoires enchâssés et qui peut-être, à cette occasion, les englobe : la paroisse et la seigneurie.
Ces progrès sont aussi le fait des agents cadastraux, les arpenteurs, estimateurs et scribes, véritables hommes de l’art. Recrutés à l’extérieur de la communauté par celle-ci, ils fabriquent son compoix avec arpentage des parcelles et calcul de la valeur cadastrale de chacune d’elles. Ils peuvent constituer de véritables dynasties familiales, comme les Chassaric, de Fontanes, à Saint-Sauveur-de-Peyre, qui réalisent de nombreux documents fonciers entre Gévaudan et Rouerge, des années 1590 aux années 1710. En Cévennes, le cabinet Deleuze-Nogaret-Combet, actif des années 1600 aux années 1650, centré autour d’une étude notariale de Barre-des-Cévennes, produit une trentaine de compoix au moins, en Hautes-Cévennes, sur le Lozère mais aussi dans le Gard actuel.
Pour les passionnées d’histoire locale et de généalogie et tout simplement de patrimoine, les compoix du Gévaudan sont conservés aux Archives départementales de la Lozère. De plus en plus numérisés, on peut les trouver et consulter aisément en ligne ou en salle de lecture de ce service. Ils sont référencés et décrits précisément dans un répertoire consultable et librement téléchargeable, au format pdf, sur leur site internet.